SOUCOUPES VOLANTES ?

Aimé Michel

Chronique extraite du livre La clarté au coeur du labyrinthe
(Aimé Michel - Jean-Pierre Rospars - Éditions Aldane - 2008),
publiée à l'origine dans France Catholique N°1415 du 25 janvier 1974

 

Depuis environ deux mois, une fois de plus, la presse et la télévision rapportent des cas d’observations (alléguées) de soucoupes volantes. Et une fois de plus on nous sert les mêmes sornettes contradictoires proférées d’un côté par des pseudo-prophètes et de l’autre par des savants le plus souvent bien ennuyés qu’on les interroge sur ce sujet.
J’étudie ce problème depuis exactement vingt-trois ans pour une raison que les lecteurs habitués à l’esprit de mes petits articles comprendront: c’est que je crois à la fois à la puissance illimitée de la méthode scientifique dans les domaines qui sont les siens et à l’existence de domaines qui lui échappent par nature.
Prenons l’événement le plus familier et le plus trivial: en plantant un clou, je me donne un coup de marteau sur le doigt. La science peut m’apprendre là-dessus de quoi remplir un livre, du point de vue mécanique, énergétique, physiologique, psychologique, etc... Elle pourra même essayer de me faire croire (c’est la «loi» de Wundt1) qu’il existe une relation logarithmique entre la stimulation et la sensation. Mais ce qui échappera toujours par nature à la science expérimentale et objective, c’est ce que j’éprouve en m’écriant «aïe» (ou tout autre mot). On pourrait sans doute, en laboratoire, construire un appareil simulant tous les aspects observables de la douleur: le seul manque de cet appareil imaginaire (mais concevable) serait de ne pas souffrir.

La sincérité des témoins

La soucoupe volante est précisément un de ces je ne sais quoi qui se produisent en partie dans le monde objectif relevant de l’observation scientifique, et en partie à côté2. D’où l’échec de toutes les commissions d’enquête qui ont essayé, parfois à grands frais, de donner à cette énigme une réponse définitive.
L’échec le plus fameux est celui de la Commission de l’Université du Colorado, qui croqua quelque 300 millions de l’Armée de l’Air américaine pour arriver aux résultats suivants: 1. le «patron» de la Commission publia un rapport concluant que la soucoupe volante était inexistante (1), et 2. le «principal investigator» de la Commission (c’est-à-dire celui qui étudiait directement les faits) publia un livre concluant que la soucoupe volante est bel et bien une réalité (2)3.
Prenons d’abord le problème à son niveau le moins risqué: celui de la sincérité des témoins. Il y a, certes, parmi eux, des farceurs et des illuminés: mais les études sociologiques montrent qu’il n’y en a ni plus ni moins que dans n’importe quelle catégorie d’individus pris au hasard (3). Il en est de même si l’on considère la compétence des témoins: le pourcentage des témoins est même un peu plus fort parmi les classes cultivées (ce qui s’explique par le fait que les gens plus cultivés sont plus à même de reconnaître ce qui est insolite). Un exemple classique est celui de la vague d’observations analysée par le P. Gill et Mgr Cruttwell en Papouasie orientale4: les Papous, se souvenant des engins américains de la guerre du Pacifique, croyaient assister à des manoeuvres de l’armée américaine revenue quinze ans après. Évidemment, les missionnaires savaient qu’il n’en était rien.
Montons d’un niveau: le témoin humain, même cultivé, peut se tromper. Dispose-t-on de faits expérimentaux, enregistrés par des appareils, de préférence scientifiques? La réponse est oui. Il y a des photos, il y a même des films (4), des enregistrements radar, etc.
Mais un document isolé est toujours suspect. La photo n’a-t-elle pas été truquée, le film fabriqué? L’expertise ne peut donner de réponse satisfaisante que dans le cas du truquage démasqué: si le truquage est prouvé, il est prouvé; si aucun truquage n’est prouvé, cela peut aussi bien signifier, que le truqueur est plus habile que les experts.
Les seules réponses valables ne peuvent venir que de la statistique. En voici un exemple. David R. Saunders, de l’Université de Colorado (l’ancien «principal investigator» de la Commission dont j’ai parlé) code sur ordinateur depuis 1968 tous les cas qui viennent à sa connaissance. Actuellement, il en a quelque 70'000. Parmi ces cas, un certain pourcentage comporte un détail intéressant: les «témoins» disent que l’approche de la «soucoupe» s’est accompagnée d’incidents électriques ou électromagnétiques, moteur d’auto qui cale, saturation et panne d’un récepteur radio ou télé, etc. Il est évident que les «témoins» peuvent avoir inventé tout cela et qu’on n’a aucune raison de les croire. Mais on peut tourner la difficulté et atteindre la certitude sans avoir à faire foi aux témoins. En effet, si les témoins disent vrai, alors les organismes qui tiennent statistique des incidents électriques et magnétiques devraient permettre la confrontation de ces statistiques avec celles des «observations».
Cela a été fait de nombreuses façons. Aux États-Unis par exemple, l’ingénieur Smith a porté sur un graphique le nombre des pannes électriques de plus de 15 minutes enregistrées par la Federal Power Commission (quelque chose comme l’EDF des EU) pendant douze ans, de 1954 à 1966; puis, sur le même graphique, il a porté le nombre des cas de «soucoupes volantes» enregistrés pendant la même période par l’Armée de l’Air américaine (qui, on le sait, publie périodiquement des communiqués démentant l’existence des soucoupes volantes). Les deux courbes se superposent, leur corrélation saute aux yeux (5).
En France, un autre ingénieur, C. Poher5, a étudié la chronologie statistique des cas (allégués) de soucoupes avec un phénomène qui, contrairement à la panne électrique, a l’avantage de passer totalement inaperçu du public tout en permettant une vérification a posteriori des cas d’incidents soucoupiques avec moteurs calés, radios mises en panne, etc. Il a porté sur un même graphique les diverses variables du magnétisme local enregistrées dans les observatoires de géophysique et le nombre des cas de soucoupes recueillis par des organismes différents. Là encore, il y a corrélation avec certaines variables enregistrées par les observatoires.

La curiosité ou le mépris

Peut-on aller plus loin et, tenant hypothétiquement pour avéré que les témoins ont bien vu quelque chose, dire ce qu’ils ont vu? À mon avis (qui est partagé par tous ceux qui étudient prudemment le problème), on peut aller un peu plus loin, mais pas jusqu’à dire ce que sont les soucoupes volantes. L’astronome J. A. Hynek, qui fut pendant vingt ans le conseiller de l’US Air Force pour ces questions (actuellement directeur de l’Observatoire Dearborn, Northwestern University), a mis en évidence un fait à la fois stimulant et décourageant tiré lui aussi de la statistique la plus simple. Si l’on classe sur un diagramme les cas selon leur indice de crédibilité (c’est-à-dire en commençant par les mieux prouvés) puis selon leur indice d’étrangeté (c’est-à-dire en commençant par les plus inexplicables), on constate que les deux classements se recouvrent: autrement dit, mieux le phénomène est observé et assuré et plus il est inexplicable.
L’interprétation simpliste est naturellement celle d’engins venus d’une autre planète et qui étudient la Terre. Ceux qui connaissent bien le phénomène savent que cette explication est aussi irréaliste que la réaction du chien prenant l’auto pour un animal ou que celle du rouge-gorge attaquant sa propre image dans un miroir. Le diagramme de Hynek, dûment établi et confirmé par d’autres chercheurs, est chargé d’une signification philosophique explosive: il nous apprend qu’il se produit dans la nature des événements plus intelligents que l’homme.
Nombreux sont ceux qui se posent la question de savoir où est le devoir de la raison humaine devant de tels faits. Doit-elle tenter de les étudier quand même, au risque de s’y perdre. Ou bien les traiter par le mépris, comme font beaucoup de savants que je respecte? L’audace et la curiosité de l’homme étant ce qu’elles sont, la réponse est connue d’avance (6).

 

Les notes (1) sont d'Aimé Michel
Les notes 1 sont de Jean-Pierre Rospars

(1) Scientific Study of Unidentified Flying Objects (Bantam Books, New York 1969). Ce livre est épuisé.
(2) D. R. Saunders: UFO’S? Yes (Signet Books, The New American Library, 1301, avenue of the Americas, New York, NY 10019).
(3) Voir dans l’ouvrage cité en note 1, les pages 209 et sq.
(4) Observational Evidence of Anomalistic Phenomena, in: Journal of Astronautical Sciences, vol XV, No 1, p. 31 (janv. 1968). L’auteur de cette étude, R.M.L. Barker, est un chercheur de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA).
(5) Aerial Phenomena Research Organisation (APRO), Bulletin de mars-avril 1970.
(6) Le lecteur qui voudrait approfondir sa réflexion sur ce sujet lira avec profit le livre collectif Mystérieuses soucoupes volantes publié par le groupe de recherche LDLN (édition de l’Armorique, 14, rue de l’Armorique, Paris 15e)6.

1 Habituellement appelée «loi de Weber-Fechner».
2 Cet argument fondé sur une limite de la science objective mérite d’être relevé car on le retrouve sous sa plume sept ans plus tard dans l’apologue du chasseur de coquecigrues (lettre à Bertrand Méheust du 8.11.1981, in L’Apocalypse molle, Éditions Aldane, 2008). «Dans ma jeunesse, écrit-il, entendant toutes ces histoires de coquecigrues, j’en fis un recueil calligraphié avec soin. J’y exposai ma méthode pour recueillir et présenter au mieux la mystérieuse rumeur. Je tentai même de prouver l’existence de ces coquecigrues que je n’avais pas et que je n’ai toujours pas réussi à voir de mes yeux. – Ah, dis le palefrenier, tu as essayé de prouver, quoique ne sachant pas? Tu avoues cela au palefrenier du duc? – C’est là le point, dit le chasseur, je n’ai pas dit que je ne sais pas, ni d’ailleurs que je sais. Hier soir je suis sorti de ma caverne et j’ai baillé à la lune au coin du cimetière, le temps d’un sablier. Je n’ai rencontré personne. Puis je suis rentré. Vrai ou faux?». L’abandon de ses recherches sur les ovnis ne peut donc pas être imputé à ce seul argument puisqu’il l’invoque déjà en 1974 alors qu’il est encore actif sur le sujet. (Aimé Michel cesse d’écrire sur ce sujet à partir de 1980 environ. «Si je n’en parle plus, écrit-il à Bertrand Méheust le 20 juin 1986, c’est par désintérêt, ayant acquis la “conviction intime” que c’est inétudiable».)
3 L’autre «investigator», Roy Craig, critique Saunders et soutient Condon dans son livre UFOs An insider’s view of the official quest for evidence, University of North Texas Press (Denton, Texas, 1995).
4 L’observation du père Gill est présentée pp. 175-180 dans J.A. Hynek: Les Objets Volants Non Identifiés: mythe ou réalité? Belfond (1974), traduit par M. Sissung. La traduction du rapport original du père Gill a paru dans le n° 1 (1963) du Bulletin du GEPA, le Groupement d’Étude de Phénomènes Aériens animé par René Fouéré . Il est reproduit dans le premier volume de la réédition de cette revue par Francine Fouéré (Phénomènes Spatiaux, Le Courrier du Livre, Paris, 2008). Voir aussi E.G. Cruttwell: Flying Saucer Review, n° spécial n° 4 (1971).
5Voir par exemple C. Poher: «Deux questions essentielles» in J.-C. Bourret: Le nouveau défi des O.V.N.I., France-Empire, Paris, 1976, et C. Poher: Gravitation: Les Universons, énergie du futur, Éd. du Rocher, 2003.
6 C’est dans ce livre qu’Aimé Michel a fait paraître son étude sur Le principe de banalité. Bertrand Méheust en montre l’importance dans Le Veilleur d’Ar-Men (in L’Apocalypse molle, op. cit.).

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Présentation des deux livres de textes d'Aimé Michel publiés par les Éditions Aldane en 2008

Ces deux ouvrages sont en vente sur ovnilivres.com (rubrique "Éditions Aldane").

Gravitation: Les Universons, énergie du futur de Claude Poher est également disponible sur ovnilivres.com (rubrique "OVNI - livres neufs"), ainsi que Les Objets Volants Non Identifiés: mythe ou réalité? de J.A. Hynek, et Le nouveau défi des O.V.N.I. de J.-C. Bourret (rubrique "OVNI - livres d'occasion").