Le centenaire de l'ufologie

 

Partout dans le petit monde ufologique, les congrès et manifestations se succèdent sur le thème des 50 ans de l'ufologie, avec les anniversaires successifs de l'observation de Kenneth Arnold le 24 juin 1947 (qui ne fut pas seulement le premier témoin célèbre, mais aussi, peut-être, le premier ufologue de l'après-guerre) et du crash de Roswell, qui est devenu l'arbre cachant la forêt des récupérations d'ovnis.

Disons-le tout net, au Grepi, l'on se gausse de ces mondanités: faisant fi de tout conformisme en la matière, nous vous invitons à fêter gaiement avec nous le centenaire de la première vague historique d'observations d'engins aériens de provenance inconnue, en avril-mai 1897 au-dessus des Etats-Unis (déjà). Le cas le plus connu de cette époque est celui de l'ovni en forme de dirigeable dont les occupants avaient enlevé une vache le 19 avril 1897, rapporté par Alexander Hamilton, de LeRoy (Kansas). Ce cas a connu un regain d'intérêt lors de la vague de mutilations de bétail aux USA entre 1974 et 1980.

Cet événement prit place relativement au début d'une période riche en observations, qui semble avoir commencé vers la fin du mois de mars 1897, lorsque, le 26, M. Robert Hibbard fut attrapé par une ancre suspendue à une machine volante inconnue à 22 km au nord de Sioux City (Iowa), et traîné sur 10 mètres avant de tomber en déchirant ses vêtements. Deux jours plus tard, à Omaha (Nebraska), la majorité de la population observa un objet arrivant du sud-est; il ressemblait à une immense lumière, vola lentement vers le nord-ouest et descendit à basse altitude. La foule se retrouva réunie dans la rue pour le regarder.

On compte aussi un certain nombre d'atterrissages pendant cette vague, comme celui de Nilwood, dans l'Illinois, où un objet en forme de cigare avec un dôme se posa dans le champ de Z. Thacker le 12 avril. Trois témoins le virent s'envoler avant d'avoir pu l'atteindre. Le même jour, c'est toute une foule de mineurs près de Green Ridge (toujours dans l'Illinois) qui a assisté à l'atterrissage d'un objet allongé comme un navire avec un toit et un double dôme; un agent des chemins de fer s'est trouvé assez près pour voir un homme en sortir pour "réparer le moteur".

Les rencontres avec les occupants de ces aéronefs sont aussi nombreuses, conjointement avec les apparitions d'engins lumineux qui couvrent tout le Middle-West, du Dakota au Texas. Les équipages sont souvent décrits comme parfaitement humains (quoiqu'étrangers parfois), sauf dans quelques cas où des personnes "hideuses" ou "géantes" sont évoquées avec effroi. On voit des hommes (et des femmes) s'affairer près des appareils posés au sol, et demander de l'eau ou de la quincaillerie pour effectuer des réparations. Un de ces "aéronautes", après avoir posé son engin allongé, avec des protubérances et des lumières aveuglantes qui s'éteignirent au contact du sol, accosta un quidam du nom de Barclay en l'assurant de ses intentions pacifiques. Il paya les quelques articles dont il avait besoin avec un billet de 10 $ et reprit l'air "avec la vitesse d'une balle qui sort d'un fusil"! (22 avril, 23 h 30, Rockland, Texas).


Mais l'histoire la plus extraordinaire qui se répandit lors de cette vague de 1897 fut celle qu'on put lire dans le Morning News de Dallas (Texas) le 19 avril:
"Aurora, Comté de Wise, 17 avril.
Vers 6 heures du matin, les lève-tôt d'Aurora furent étonnés par l'apparition soudaine de l'aéronef qui navigue au-dessus de tout le pays. [...]
"Il passa directement au-dessus de la place centrale et lorsqu'il atteignit la partie nord de la ville, il heurta la tour du moulin à vent du juge Proctor et vola en pièces dans une explosion terrible, éparpillant des débris sur plusieurs hectares de terrain, endommageant le moulin à vent et le réservoir d'eau, et détruisant le jardin de fleurs du juge.
"On suppose que le pilote était seul à bord de l'aéronef, et si ses restes sont affreusement défigurés, on en a retrouvé assez pour montrer qu'il n'était pas un habitant de notre monde.
"Mr. T. J. Weems, l'officier du service des transmissions de l'U.S. Army stationné ici et astronome autorisé, dit qu'à son opinion il (le pilote) était natif de la planète Mars...
"Les papiers retrouvés [...] sont écrits dans des hiéroglyphes inconnus. Ce vaisseau aérien est trop fortement détruit pour qu'on puisse tirer une conclusion quelconque sur sa construction et son énergie motrice [...]
"La ville est pleine de gens qui viennent voir les débris et ramasser des spécimens de métal étrange parmi les décombres. L'enterrement du pilote aura lieu demain à midi."

Cet article fut, bien plus tard, porté à l'attention du Dr J. Allen Hynek, qui demanda à un de ses amis texans de vérifier l'histoire. Sa conclusion fut qu'il s'agissait d'une mystification, perpétrée par un habitant d'Aurora dans le but de redonner à la petite ville, autrefois prospère, une notoriété qu'elle avait perdue depuis que les chemins de fer avaient décidé de l'éviter. C'est un négociant en coton, journaliste à ses heures, qui avait imaginé cet épisode pour relancer ses affaires, en s'inspirant des observations faites, comme le dit l'article, "dans tout le pays". (Jacques Bergier, Le Livre de l'Inexplicable)

De cette "désinformation" avant la lettre, on peut retenir un certain nombre de choses:
- qu'en matière d'ufologie, comme le dit Jean-Pierre Petit, le vrai et le faux sont aussi intimement mêlés que les métaux dans un alliage;
- que le phénomène avait pris une ampleur suffisante pour que les affabulateurs puissent s'insérer dans le processus avec une chance de succès - ceci étant dû à la popularité des rapports d'observations;
- que dès le début de l'ufologie, on put constater la proximité de l'U.S. Army, du mensonge, de l'expert-astronome, des mystérieux hiéroglyphes... avec le phénomène lui-même: cela ne vous rappelle rien?
- qu'enfin, comme le montrent aussi les dramatiques assassinats de Lincoln et de Kennedy, l'histoire bégaie souvent. Bon anniversaire!