Cette interview a été publiée à l'origine dans le bulletin N° 5 (printemps 1998) et sur le site web de ONDES.
Nous remercions Madame Fouéré, Monsieur Raulet et ONDES de nous avoir autorisés à la reprendre ici.

 

Entretien avec Francine Fouéré

 

Francine FOUÉRÉ fut pendant de longues années l'épouse et la collaboratrice de René FOUÉRÉ. C'est grâce à lui qu'elle eut connaissance de l'enseignement de Krishnamurti et du problème des soucoupes volantes. Elle poursuit toute une action dans ce domaine, à la fois par un profond intérêt à ces recherches, mais aussi pour rendre hommage au travail désintéressé de son mari.
C'est pourquoi elle a bien volontiers accepté de répondre aux questions posées par Eric RAULET.

ONDES - Pouvez-vous décrire les raisons qui ont poussé votre mari à effectuer des recherches sur les OVNI? Quel était son sentiment, à la fin de sa vie, sur ce phénomène?

F. FOUÉRÉ - Pour répondre à cette question et surtout dans le souci de ne pas déformer sa pensée, je cite ce texte, écrit par mon mari, dans son livre La révolution du réel: Krishnamurti (p. 420), paru en 1985.

"Le même esprit de recherche qui m'avait conduit à la découverte de l'enseignement de Krishnamurti me valut de prêter une attention vive, sans aucune prévention initiale et en tout désintéressement, au problème "damné" de la présence possible - une présence dont les implications humaines et philosophiques ou d'ordre spirituel pourrait être immenses - de véhicules extraterrestres, pilotés, dans l'atmosphère ou sur le sol de notre planète.
C'est à l'occasion de cette recherche que nous avons pu apprécier le courage et l'amitié du général d'Armée Lionel Max CHASSIN, qui fut le président de ce Groupement d'Études des Phénomènes Aériens dans les activités duquel nous avons pris, mon épouse et moi, les plus grandes, les plus graves responsabilités".

A la fin de sa vie, en 1990, j'avais abordé ce sujet avec mon mari. Il m'avait répondu simplement:
"Un phénomène banal, ordinaire, qui a toujours existé, mais très mal étudié!"


Un des pionniers de la recherche ufologique: le général Lionel Max CHASSIN participa à la création du GEPA en 1963, dont il fut le président de 1964 à 1970. Courageux et lucide, "Il se passe quelque chose et on l'étudie", telle fut son attitude.

ONDES - Ensemble, vous avez pu rencontrer à plusieurs reprises Krishnamurti. Quelle était l'attitude de cet homme par rapport à l'inconnu? Ces enseignements vous ont-ils permis d'appréhender autrement le sujet OVNI?

F. FOUÉRÉ - En fait Krishnamurti était un esprit très ouvert. Il avait eu en main notre revue, Phénomènes Spatiaux. Il ne niait pas l'intérêt de cette étude. Mais ayant à assumer de nombreuses et lourdes tâches, ce n'était pas son problème. Un de ses amis, le physicien David BOHM s'entretenait avec nous, lors de nos séjours à Brockwood, en Angleterre, sur ce sujet, avec beaucoup de curiosité.
Je ne peux répondre si l'enseignement de Krishnamurti a eu une influence. Dans le paragraphe précédent, René a défini clairement son attitude.
Il avait écrit à un correspondant: "Je n'avais pas la passion des Soucoupes Volantes, mais celle de la Vérité, et c'était cette passion qu'il fallait avoir si l'on voulait savoir la vérité sur les Soucoupes Volantes".
Au fond, quel que soit le sujet abordé, René avait toujours cette attitude d'ouverture, de lucidité.

ONDES - Considérez-vous aujourd'hui que les études sur les OVNI ont progressé depuis 50 ans? Que manque-t-il aux chercheurs actuellement pour déboucher sur de nouvelles découvertes?

F. FOUÉRÉ - Je ne crois pas que les études sur les OVNI ont spécialement progressé.
Bien sûr, certaines hypothèses émises dès la fin de la guerre, ont fait long feu aujourd'hui comme celle des prototypes. Je me souviens toujours, à ce propos de ce que nous avait dit Jacques BERGIER, avec son humour habituel: "Vous connaissez beaucoup de nations qui vont essayer leurs prototypes chez les voisins?!"
Reprendre cette hypothèse me fait le même effet que si on revenait à la thèse que les météorites ne sont pas d'origine céleste. Je me rappelle qu'il a fallu 150 ans pour reconnaître ces "messagères du cosmos".
Les secrets de fabrication ne restent pas longtemps cachés.
Si une nation possédait un tel engin, avec ces propriétés extraordinaires, elle le ferait certainement savoir pour exercer sa puissance. Par exemple, quand TRUMAN, président des Etats-Unis, a eu sa bombe atomique, en 1945, il s'en est servi immédiatement non seulement contre le Japon, mais aussi pour marquer sa supériorité envers le Maréchal STALINE, le dirigeant de l'URSS.
Le phénomène "Soucoupes Volantes" ne dépend pas de nous - et c'est là toute la difficulté.
Lors d'une entrevue, dans son laboratoire, en compagnie de notre ami Michel TROUBLÉ, avec le professeur Yves ROCARD, cet homme remarquable a dit à mon mari: "Je mets tout mon laboratoire à votre disposition, mais que dois-je faire?"

ONDES - Quels sont les cas qui vous ont le plus troublé au cours de vos recherches? Pourquoi les pouvoirs publics et les médias n'accordent-ils pas plus d'intérêt à ces recherches?

F. FOUÉRÉ - Dans notre revue, Phénomènes Spatiaux, René FOUÉRÉ, qui en était le directeur de publication, ne voulait publier que des observations fortes, pour amener une prise de conscience du phénomène. Je ne citerais que les observations suivantes:

Les pouvoirs publics ont d'autres sujets de préoccupation.
Les médias et la presse? Je dirais simplement que nous avons rencontré des gens remarquables, d'une très grande conscience professionnelle. Mais, hélas, comme partout, il y a des fripouilles.

Les numéros 7 et 36
de Phénomènes Spatiaux,
la revue éditée par le GEPA

ONDES- Si vous en aviez la possibilité, vers quelles orientations privilégieriez-vous les recherches aujourd'hui en matière d'OVNI? La France est-elle en retard dans les recherches?

F. FOUÉRÉ - Seule une recherche officielle peut faire avancer l'étude de ce problème.
Un chercheur isolé ne peut rien. Un groupement a aussi ses limites. L'idéal, une complémentarité. En astronomie, vous avez les astronomes officiels et les amateurs et tous ont un rôle à jouer.
La France a été en pointe dans la recherche, quand le GEPAN a été créé, dans le cadre du CNES en 1977. Des notes techniques, des plaquettes d'information ont été publiées à l'époque.
Puis, pour différentes raisons, politiques, budgétaires et autres, le GEPAN a disparu silencieusement pour laisser la place au SEPRA (Service d'Expertise des Phénomènes de Rentrée Atmosphérique) fondé en 1988.

ONDES - Quels conseils donneriez-vous aux témoins, mais également à ceux qui auront à les entendre un jour? Pensez-vous, au cours de vos recherches, avoir subi des pressions ou des manipulations?

F. FOUÉRÉ - Difficile de donner des conseils aux témoins car une observation, c'est l'inattendu.
Garder si possible son sang-froid, de la prudence, noter le maximum de détails. Mais encore une fois, c'est facile à dire.
Nous avons effectué de très nombreuses enquêtes, et pour le témoin, voir une "chose" inexplicable n'est pas toujours agréable…
Ce qui est important, c'est l'écoute, la mise en confiance, laisser le témoin s'exprimer, à sa façon, sans l'interrompre, ne pas l'influencer en lui posant des questions.
Tout récemment, nous venons de rencontrer à nouveau Maurice MASSE, le témoin de l'observation de Valensole, plus de trente ans après notre première enquête. C'est avec émotion que Maurice MASSE me confiait le profond souvenir qu'il avait gardé de la bienveillance de mon mari.
Pour nous le respect de la personne était primordial. C'est pourquoi, nous étions contre les hypnoses, les psychiatres et toutes espèces de manipulations.
Ce qui est intéressant, c'est quand il y a des traces au sol. Le témoin est indispensable pour indiquer l'endroit et l'analyse des traces apporte des éléments qui ne dépendent plus du témoin.
Nous n'avons jamais subi de pression, ni manipulations au cours de nos recherches. Nous nous sommes toujours exprimés en toute liberté. Mon mari était ingénieur et n'a eu aucun problème professionnel; moi en tant qu'enseignante, aucun ennui.
Mais hélas, ce n'est pas le cas pour certains chercheurs. Notre ami Patrick AIMEDIEU, décédé depuis deux ans, à l'âge de 51 ans, n'avait jamais caché sa curiosité pour les Soucoupes Volantes. Chargé de recherche au CNRS, il en a souffert malheureusement dans sa carrière.

ONDES - Si René FOUÉRÉ était encore en vie aujourd'hui, vers quelles recherches se serait-il porté? Pensez-vous qu'il se serait intéressé aux NDE par exemple?

F. FOUÉRÉ - Comme dirait Krishnamurti: "Je n'ai pas de réponse pour une situation imaginaire". Car on ne sait pas ce qu'un être humain peut devenir. Il ne m'est pas possible de répondre à cette question.
Quant aux NDE, dès sa parution, en anglais, René a lu le livre de Raymond MOODY. Quelques temps après, il m'a fait part de ses réflexions. Les personnes qui ont vécu une NDE ne sont pas définitivement mortes, car elles reviennent pour nous les raconter. "C'est à la mort effective, à la mort du sujet, qu'une certitude absolue pourrait être atteinte, et elle ne pourrait l'être que par le sujet lui-même".
René s'est toujours intéressé à ce problème de la mort, "la profondeur de la vie". Dans son ouvrage, La révolution du réel, Krishnamurti, il avait écrit cette note personnelle - Réincarnation indienne, survie et liberté.

Je tiens à remercier Eric RAULET de m'avoir posé ces questions, qui m'ont amené à réfléchir, à prendre conscience que des évidences pour ceux qui se sont penchés depuis longtemps sur ce phénomène, ne le sont pas toujours pour les nouveaux venus - et qu'il faut savoir les répéter.

Aussi, j'aimerai terminer cet entretien en rendant hommage au courage, au travail et à la lucidité de mon mari, en citant des extraits de son étude "Le sens de notre action", publiée dans le numéro 19 de mars 1969 de Phénomènes Spatiaux, texte toujours d'actualité.

 

Le sens de notre action

par René Fouéré

 

Pour conclure l'entretien qu'elle a accordé à ONDES, Francine FOUÉRÉ nous donne à lire, et peut être aussi à méditer, un texte de René FOUÉRÉ: Le sens de notre action. Ce texte invite aussi la communauté ufologique à réfléchir sur les problèmes de communication et la mise en œuvre d'une éventuelle stratégie. Le peu d'intérêt de la communauté scientifique pour le phénomène des ovnis ne serait pas tant dû à un rejet massif de ce dernier, qu'à une incapacité de la communauté ufologique à communiquer adroitement sur ce phénomène. Ce texte, paru dans Phénomènes Spatiaux en 1969, reste d'actualité.

Notre action essentielle ne vise pas les services officiels, au sens politique ou gouvernemental du terme. Comme celle du Dr McDONALD aux USA, elle vise la communauté scientifique elle-même, qui est seule capable de mener une enquête qui, Gérard KLEIN l'a justement dit, a depuis longtemps dépassé les possibilités et la compétence des groupes d'amateurs les plus actifs. Si, d'ailleurs, la science s'inclinait devant les faits, par la voix de ses plus hauts représentants, les gouvernements, du même coup, collaboreraient avec nous, car en de telles matières, ils prennent conseil près des représentants les plus éminents de la communauté scientifique.

C'est l'attitude présente du monde scientifique qui est, dans le domaine de nos recherches, l'obstacle principal, je dirais presque l'obstacle clé.

Essayer, avec l'aide de journaux ou de postes d'émission sympathisants, de se servir du public pour exercer une pression sur la science ou les services officiels est une tâche à peu près vaine. D'une part - sauf incidents majeurs, fantastiques et imprévisibles qui résulteraient de l'initiative des extraterrestres eux-mêmes - il n'y aura jamais qu'une faible fraction du public à s'intéresser aux Soucoupes Volantes et jamais, d'autre part, les responsables d'un service de recherche ne consulteront les journaux, ni ne tiendront compte des articles publiés par la plupart d'entre eux, s'agissant de décider de l'ouverture possible d'une enquête concernant les Soucoupes Volantes. Les chercheurs sérieux en matière de Soucoupes Volantes ne doivent pas se laisser griser par le bruit qu'ils peuvent faire dans la presse, dans une presse qui est souvent à l'affût d'articles à sensation.

Donc, à mon sens, c'est l'édifice de la communauté scientifique qu'il faut attaquer, sur son propre plan et en usant de ses propres méthodes. Ce qui exige beaucoup de patience, de science et de sang-froid. Les cris, la provocation, la violence et l'infatuation ne sont pas de mise dans cette affaire.

L'édifice scientifique ressemble, si nous pouvons nous servir de cette image, à une pyramide. Son sommet est fait d'éléments qui sont, pour le moment, irréductibles, et forts de titres difficilement acquis et justement appréciés. On ne peut pas attaquer de front ce sommet. On peut tout au plus - si l'on dispose pour cela d'éléments de haute qualité scientifique - essayer d'embarrasser et, jusqu'à un certain point, de neutraliser les savants dogmatiques occupant ce sommet.

Le travail le plus rentable, dans l'état actuel des choses, est un travail d'infiltration, très discret, se faisant à la base même de la pyramide et visant de hauts techniciens ou des hommes de science qui ne sont pas entièrement contaminés par l'idéologie régnant au sommet et conservent une certaine ouverture d'esprit.

Mais, pour atteindre ces hommes-là, il faut parler leur langage, le seul langage qu'ils entendent. Il faut parler avec beaucoup de mesure, de prudence, et en avançant des arguments qui soient, dans l'ordre scientifique, aussi valables que précis.

Ce sont ces techniciens et ces savants qu'il faut toucher. Il ne s'agit pas de prêcher des convertis, ni même de s'attirer les appréciations flatteuses du groupe clandestin de savants qui s'intéressent d'ores et déjà aux Soucoupes Volantes.

Ce qui peut faire avancer le problème des UFOs, ce n'est pas que nous en parlions ou en fassions parler dans la presse ou sur les ondes, c'est le fait que nous parvenions à convaincre de son existence des hommes ayant dans le monde scientifique une autorité indiscutée et que ces hommes en parlent ouvertement. Ce qui est tout autre chose et aurait de toutes autres conséquences. Des conséquences immédiatement décisives.

Que, pour nous, les Soucoupes Volantes soient un fait, et un fait manipulé par des intelligences extraterrestres, c'est très peu important. L'essentiel est de convaincre de ce fait les sceptiques et, parmi eux, ceux qui jouissent dans la communauté scientifique du plus haut prestige. Le reste peut satisfaire notre vanité, notre ambition personnelle, nous donner le sentiment de notre importance ou nous "occuper", mais risque fort de n'être qu'une "tapageuse inaction", contradictoire dans ses modes, et finalement nulle ou négative en son résultat, sur le plan que j'envisage ici.

Que le problème des Soucoupes Volantes déborde de loin celui de la science et de la technique, qu'il puisse avoir des prolongements philosophiques, parapsychologiques, religieux ou historiques bouleversant, qu'il puisse mettre en question toute notre culture, je n'en disconviens pas. Mais si nous voulons qu'une enquête efficace sur le "phénomène soucoupe" s'instaure à l'échelle mondiale, ce n'est pas aux philosophes, aux hommes de religion ou aux historiens qu'il nous faut nous adresser - en supposant acquise l'existence réelle des Soucoupes Volantes. Ce sont les hommes de science et les techniciens que nous avons à convaincre, comme le dit le Dr McDONALD, "de l'existence même d'un problème". Scientifiquement parlant, c'est à ce très bas niveau que nous devons commencer et nous devons, à ce titre, nous imposer les disciplines nécessaires, si ingrates qu'elles puissent nous paraître.

Ce n'est pas seulement ce que l'on fait qui est ici important, mais, d'abord et surtout, la manière dont on le fait. Ce n'est pas seulement ce qu'on dit, mais le contexte même dans lequel on le dit.

René FOUÉRÉ

(publié dans le numéro 19 de Phénomènes Spatiaux, mars 1969)


René et Francine Fouéré.
Cliché pris par Joël Mesnard, lors d'une enquête au lac de Pannecière, dans le Nivernais, en novembre 1968,
publié dans la revue Phénomènes Spatiaux n°18 de décembre 1968.