Francine Fouéré fut pendant 36 ans la femme et la collaboratrice de René Fouéré qui s'intéressa de très bonne heure aux questions spirituelles et, dès 1928, à l'enseignement de Krishnamurti. C'est grâce à son mari que Francine Fouéré découvrit cet enseignement et rencontra pour la première fois Krishnamurti aux conférences de Bruxelles organisées par Robert Linssen en 1956.
Ils participèrent aux réunions de Saanen, en Suisse, de 1961 à 1985, et elle assista son mari dans son travail de traduction des conférences de Krishnamurti.
Elle insista obstinément pour que les recherches, les réflexions de son mari soient publiées dès 1968. En 1985, la nouvelle édition du livre de René Fouéré La révolution du réel - Krishnamurti fut offerte à celui-ci lors de sa dernière venue à Saanen.
En tant qu'enseignante, elle s'intéresse toujours à tout ce qui touche l'éducation et assiste aux réunions du GREK (Groupe de Recherche sur l'Enseignement de Krishnamurti).
Dans un autre domaine (celui des «soucoupes volantes»), elle participa avec son mari au travail du GEPA (Groupe d'Étude de Phénomènes Aériens) et à la publication de la revue Phénomènes Spatiaux de 1963 à 1977.

 

KRISHNAMURTI

par Francine Fouéré

 

«Ami, ne vous préoccupez pas de savoir qui je suis, vous ne le saurez jamais.»

Krishnamurti
7ème camp d'Ommen- 1928

 

 

 

 

DEUX FEMMES DESCENDAIENT LE SENTIER

Le sentier, qui descendait vers une petite ville, était rude et poussiéreux. Sur le flanc de la colline subsistaient quelques arbres éparpillés, mais la plupart d'entre eux avaient été abattus pour servir de bois de chauffage et il fallait s'élever à une bonne altitude pour trouver une ombre riche. Plus haut, les arbres n'étaient plus rabougris et maltraités par l'homme. Ils poussaient jusqu'à leur pleine hauteur, avaient d'épaisses branches et un feuillage normal.

Les gens avaient coutume de couper une branche pour donner ses feuilles en pâture à leurs chèvres et, quand elle était dépouillée, ils s'en servaient pour faire du feu.

Il y avait pénurie de bois aux nivaux inférieurs et, maintenant, les habitants montaient plus haut, escaladant et détruisant. Les pluies n'étaient pas aussi abondantes que de coutume, la population s'accroissait et il fallait bien vivre. La faim régnait, et on vivait aussi indifféremment qu'on mourait. Il n'y avait pas d'animaux sauvages dans les environs et ils avaient dû s'élever plus haut. De rares oiseaux grattaient le sol parmi les buissons mais ces oiseaux eux-mêmes paraissaient épuisés et quelques unes de leurs plumes étaient brisées. Un geai, noir et blanc, criait d'une voix rauque, volant d'une branche à l'autre d'un arbre solitaire.

Il commençait à faire chaud et il ferait très chaud aux environs de midi. Les pluies avaient été insuffisantes depuis de nombreuses années. La terre était desséchée et crevassée. Les arbres, peu nombreux, étaient recouverts d'une poussière brune et même la rosée du matin était absente. Le soleil était implacable, jour après jour, tout au long du mois, et l'incertaine saison des pluies était encore bien loin. Quelques chèvres gravissaient la colline sous la surveillance d'un garçon. Il fut surpris de voir quelqu'un, mais il n'avait pas l'habitude de sourire et, avec un regard grave, il suivit les chèvres. C'était un lieu solitaire où régnait le silence de la chaleur qui vient.

Deux femmes descendaient le sentier, portant du bois de chauffage sur leurs têtes. L'une était âgée, l'autre très jeune, et les fardeaux qu'elles portaient semblaient plutôt lourds. Chacune tenait en équilibre, sur sa tête protégée par une pièce d'étoffe, un long fagot de branches sèches liées ensemble par un sarment vert, et le maintenait en place d'une main. Leurs corps se balançaient avec aisance pendant qu'elles descendaient la colline d'un pas vif et léger. Elles n'avaient rien aux pieds, bien que le sentier fût rude. Leurs pieds semblaient découvrir d'eux-mêmes leur chemin car les femmes ne regardaient jamais le sol. Elles tenaient leurs têtes droites, leurs yeux injectés de sang restant perdus dans le vague. Elles étaient très maigres, leurs côtes saillantes, et les cheveux de la plus vieille étaient emmêlés et sales. Ceux de la fille avaient dû naguère avoir été peignés et huilés, car on y découvrait encore quelques mèches propres et brillantes. Mais elle aussi était épuisée et il y avait, dans son apparence, une lassitude. Il n'y avait pas si longtemps, elle avait dû chanter et jouer avec d'autres enfants, mais c'était fini. Maintenant, ramasser du bois mort sur ces collines était devenu sa vie, et le resterait jusqu'à sa mort, avec un répit de temps à autre quand lui viendrait un enfant.

Nous descendions tous le chemin. La petite ville de province était distante de quelques milles, et c'était là qu'elles vendraient leur fardeau pour une somme dérisoire, et ce ne serait que pour recommencer le lendemain. Elles bavardaient entre elles, avec de longs intervalles de silence. Soudainement, la plus jeune dit à sa mère qu'elle avait faim, et la mère lui répondit qu'elles étaient nées avec la faim, vivaient avec la faim et mourraient avec la faim. Tel était leur lot.

C'était la constatation d'un fait. Dans sa voix, il n'y avait ni reproche, ni colère, ni espoir.

Nous continuâmes à descendre le sentier pierreux.

Il n'y avait pas d'observateur écoutant, s'apitoyant et marchant derrière elles. Il ne faisait pas partie d'elles par amour et par pitié. Il était elles. Il avait cessé d'être et elles étaient.

Elles n'étaient pas des étrangères qu'il avait rencontrées sur la colline, elles faisaient partie de lui. Les mains qui tenaient les fagots étaient les siennes. Et la sueur, l'épuisement, l'odeur, la faim, n'appartenaient plus à ces femmes. Ce n'étaient plus des choses à elles auxquelles on aurait dû prendre part et dont on aurait dû éprouver du chagrin. Le temps et l'espace avaient cessé. Il n'y avait plus de pensées dans nos têtes, trop fatiguées pour penser. Et, si nous pensions quand même, c'était à vendre le bois, manger, nous reposer, et recommencer. Les pieds, sur le chemin pierreux, ne faisaient plus mal, ni le soleil au-dessus de nos têtes. Nous n'étions que deux à descendre cette colline familière, après avoir passé ce puits où nous avions bu comme d'habitude, et poursuivant notre route dans le lit desséché d'un ruisseau dont nous avions le souvenir.

Krishnamurti

 

Ce texte, étonnant et très caractéristique de sa façon de s'exprimer, est signé Krishnamurti.

Il est extrait des Commentaires sur la vie, deuxième série, traduit par René Fouéré et publié dans le chapitre "Krishnamurti, poète du présent et du silence", de son ouvrage La Révolution du Réel: Krishnamurti.

 


Photo: Karsh, Ottawa

 

QUEL EST DONC CE PERSONNAGE, KRISHNAMURTI?

Ne cherchez pas dans le Larousse. A la lettre K vous avez Krasucki mais pas Krishnamurti.

Dans le Quillet-Flammarion, (Ed. 1956) deux lignes: «Né en 1895 près de Madras  - philosophe et mystique hindou - conférences.»

Dans le Robert (Ed. 1988): «Philosophe indien (Madras 1895 - Californie 1986). Adopté par Annie Besant qui l'emmena en Angleterre, il devint le chef d'une secte théosophique qu'il décide de dissoudre en 1929. Par des tournées de conférences et des écrits, il se consacre à l'enseignement d'une nouvelle philosophie du Réel.»

Enfin le Quid (Ed. 1987):

«Jiddu Krishnamurti est né le 11 mai 1895 à Madanapalle (Inde du sud) de parents brahmanes. Adopté par Annie Besant (théosophe 1847-1933), leader des nationalistes indiens, il fut promu chef de file d'un nouveau mouvement messianique d'inspiration théosophique. Reprenant sa liberté (1929), il créa un enseignement spirituel original excluant tout dogmatisme, tout rituel, toute organisation ecclésiastique et ne relevant d'aucune autorité spirituelle, la sienne comprise.

«Il affirme que l'homme ne peut parvenir à sa plus haute réalisation spirituelle qu'en se libérant de tous ses conditionnements imposés ou acquis, en reprenant sa vie à son propre compte. Et il ne peut s'affranchir de ses conditionnements que par une prise de conscience aiguë et immédiate, impartiale, incessante et sans analyse, de toutes ses pensées, sentiments, désirs et peurs, de tous les actes de sa vie quotidienne pris sur le vif.

«Cet enseignement a été à l'origine de recherches pédagogiques nouvelles et de la création de plusieurs écoles en Inde, USA et Grande-Bretagne.»

Ce texte rédigé à l'époque par René Fouéré permet déjà aux non-initiés de se faire une idée du personnage.

Parler de Krishnamurti est toute une aventure. Je l'ai acceptée, car ayant vécu 36 ans près de ce chercheur, René Fouéré, qui s'intéressa toute sa vie à cet enseignement et qui me fit partager ses propres recherches, je crois que je peux transmettre quelque chose.


René et Francine FOUÉRÉ, photo prise le dimanche 14 août 1988
Photo: © Yves Bosson / Agence Martienne

D'ailleurs, chaque écrit sur Krishnamurti, et ils commencent à être nombreux, amène bien souvent un éclairage différent, personnel.

Il me revient en mémoire les propos de Bulwer-Lytton: «Dix hommes qui ont lu le même livre à la lueur de la même lampe, ont lu dix livres différents.»

Au cours de mes lectures sur Krishnamurti, certaines appréciations m'ont paru intéressantes. En voici quelques unes:

* Confere Montaigne, 1, 3, début

René Fouéré, dans son ouvrage La révolution du Réel - Krishnamurti a étudié de nombreux aspects de cet enseignement.

Dans le chapitre "Ce que je dois à Krishnamurti", il raconte qu'il a vécu toute une bouleversante expérience, marquant pour toujours le cours de sa vie. Il précise, et je tiens à le souligner, que c'est par une prise de conscience aiguë, approfondie, et non par la personne de Krishnamurti.

Vivre lucidement.

A un auditeur qui lui demandait s'il devait ou non fumer, Krishnamurti répliqua: «Si vous fumez, sachez pourquoi.»

Pour Krishnamurti, «Vivre, c'est vivre en relation». «Vous êtes le monde», a-t-il répété maintes fois.

En tant qu'enseignante, tous ses propos sur l'éducation et les relations humaines me touchaient particulièrement. Ses théorèmes psychologiques m'ont beaucoup aidée dans ma tâche.

«Toute rencontre humaine est un processus d'éducation mutuelle». Et cet autre propos, tenu à mon mari, lors d'un entretien: «Nous sommes tous différents, mais non séparés.»

Oui, accepter l'autre avec sa différence.

Annie Besant et Krishnamurti
Adyar 1930

Document: Société Théosophique

Les Lettres aux écoles, étudiées actuellement dans le cadre du GREK, sont d'une richesse inépuisable.

Ce qui me parait remarquable, dans cette vie, c'est que l'homme a suivi invariablement la voie qu'il s'était fixée, dans le discours du 3 août 1929, à Ommen (Hollande) annonçant la dissolution de L'Ordre de l'Étoile, discours admirablement construit, percutant.

«Peut-être vous souvenez-vous de cette histoire du diable et de son ami. Ils marchaient dans la rue et ils aperçurent un homme qui se baissait pour ramasser quelque chose et le mettre dans sa poche. L'ami dit au diable:
- Qu'est ce que cet homme vient de ramasser?
- Un petit bout de vérité, répondit le diable.
- Mauvaise affaire pour vous, remarqua l'ami.
- Pas du tout, répliqua le diable, car je la lui laisserai organiser.

 

«La Vérité est un pays sans chemin, que l'on ne peut atteindre par aucune route, quelle qu'elle soit: aucune religion, aucune secte. Tel est mon point de vue; et je le maintiens d'une façon absolue et inconditionnelle. La vérité étant illimitée, inconditionnelle, inapprochable par quelque sentier que ce soit, ne peut pas être organisée. (...)

«Je le répète, aucune organisation ne peut conduire les hommes à la vie spirituelle. (...)

«Mon seul souci est de délivrer les hommes, de les rendre libres, libres d'une façon inconditionnelle, absolue.»

Ce qui compte, ce n'est pas la personne Krishnamurti, ni cette vie extraordinaire, c'est cet enseignement, c'est notre propre vie, notre propre recherche.

André Voisin et Jacotte Cholet ont réalisé, en octobre 1972, deux émissions télévisées, Les grands conteurs, dans lesquelles André Voisin s'entretenait en français avec Krishnamurti. C'est bien dommage que cette excellente émission ne soit plus redonnée à la télévision.

A la fin de cet entretien, André Voisin qui avait mené le débat avec beaucoup de délicatesse, pose cette question à Krishnamurti:

«Qui êtes-vous?»
et Krishnamurti répond:
«RIEN.»

 

Quelques ouvrages de Krishnamurti:

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Ses premiers écrits réédités aux Éditions Adyar:

- L'immortel ami
- Le royaume du bonheur
- Pour devenir disciple
- La vie libérée
- Qu'apporte la vérité - De quelle autorité - La vie comme idéal - Préparation individuelle

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-Lettres aux écoles par l'Association Culturelle Krishnamurti

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- Commentaires sur la vie (1ère, 2ème, 3ème série) aux Editions Buchet-Chastel

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BIBLIOGRAPHIE

René Fouéré:
La révolution du réel - Krishnamurti (Editions Le Courrier du Livre -1985)

Vimala Thakar:
Un éternel voyage (Editions Le Courrier du Livre -1968 - Traduction de René Fouéré)

Zéno Bianu:
Krishnamurti ou l'insoumission de l'esprit (Sagesses - Le Seuil 1996)

Rom Landau :
Dieu est mon aventure (Éditions de l'Arche 1952)

Carnets de recherche
N° 9 mars-avril -mai-1997
(69 Av. Foch 45170 Neuville-aux-Bois)
Interview par Fabrice Hervieu de Louis Nduwumwami, auteur de Kirshnamurti et l'éducation (Editions du Rocher 1991)

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INFORMATIONS

Pour obtenir des adresses des Écoles de Krishnamurti dans le monde, la liste des ouvrages, des enregistrements vidéo, conférence, rencontre, vous pouvez vous adresser à:

Association Culturelle Krishnamurti
7, av. du Général Guilhem
75011 Paris
Tél: 01 40 21 33 33

Société Théosophique
4, square Rapp
75007 Paris
Tél: 01 47 05 26 30

Centre d'Information Krishnamurti Suisse
Gisèle Balleys
7 A, chemin Floraire
1225 Chêne-Bourg (Genève)
Suisse
Tél. fax: 00 41 22 349 66 74

G.R.E.K. (groupe de recherche sur l'enseignement de Krishnamurti)
Ce groupe, créé en 1995, dépend du département des Sciences de L'Education de l'Université de Paris VIII. Il accueille uniquement des étudiants engagés dans des travaux de recherche et qui souhaitent réfléchir ensemble, dans une dimension universitaire, sur l'enseignement de Krishnamurti, voire envisager des productions écrites ou autres.
Pour tous renseignements s'adresser à:
René Barbier, professeur et directeur du département des Sciences de L'Éducation, Université de Paris VIII
2, rue de la Liberté
93526 Saint Denis cedex 02
Tel: 01 49 40 66 54
Fax: 01 49 40 65 57

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Cet article a été publié à l'origine dans La Revue de l'Au-Delà (N° 9 - décembre 1997)
24, rue de l'Aude
75014 Paris
Rédacteur en chef: Étienne Drapeau

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RENCONTRES D'ÉTÉ AUTOUR DE L'OEUVRE DE

KRISHNAMURTI


Krishnamurti - Saanen août 1976

Information: Gisèle Balleys, 7A, chemin Floraire, 1225 Chêne-Bourg (Genève)
tél./fax: (41) 22/349.66.74

 

Merci à ONDES (http://www.ondes.org) pour les scans des photos!