La chronique de Raoul de Saint-Ambroix

 

AU COIN DU FEU

 

Ami lecteur,

Te voilà en face d'une nouvelle page à laquelle, nous l'espérons, tu réserveras bon accueil. Depuis quand l'attends-tu, cette chronique aussi nette que ouaibeuse traitant de phénomènes insolites, de ceux qui font lever le sourcil et se gratter l'occiput, de ceux qui te font t'écrier au fond de toi-même, parodiant ainsi l'immortel Gabin: "Bizarre, bizarre", de ceux qui croisent quotidiennement ton chemin et qui, malgré la réflexion profonde qu'ils ont suscitée en toi, se sont toujours dérobés à une interprétation rationnelle, échappant ainsi aux tentatives phagocytaires des protubérances de la pensée humaine, bref, de ceux qui font la fortune des éditeurs intelligents et le désespoir de l'honnête homme avide de certitude et de clarté mais qui, assailli par des légions de points d'interrogation et cerné par les inventions doctrinaires de charlatans sans scrupules et aveuglés par la nébulosité de leurs propres élucubrations, finit par ne plus savoir où il en est? Depuis fort longtemps sans doute. Eh bien rassure-toi, cher ami lecteur, ta patience est enfin récompensée, ton calvaire touche à sa fin.

Tout a commencé en 1947. Le 24 juin de cette année-là, nous eûmes l'idée d'un réseau de communication mondiale de proximité ayant pour objet le bizarre sous toutes ses formes et coutures. Après blette réflexion, nous soumettons à ta sagacité le fruit de tant de labeur. Fruit qui, tu t'en apercevras bien vite, ami lecteur, n'a pas mûri au soleil de l'opulence et de la bonne réputation, mais s'est développé lentement dans l'ombre de la médisance et de la calomnie, se nourrissant du produit de recherches effectuées avec patience et obstination, s'abreuvant à la seule source des rûts de sueur jaillissant de nos fronts sereins, comme d'une liqueur pour l'obtention de laquelle il faut attendre des années jusqu'à ce que de son creuset se développent les esprits et les parfums les plus élaborés. Car elle n'a pas toujours été aisée, notre tâche. Mais il n'est point dans notre caractère et dans nos habitudes de geindre et de nous apitoyer sur notre sort, pas plus que sur celui des autres, d'ailleurs. Car il a fallu se battre, et nombreux sont les cadavres qui jonchent notre chemin de croix. Certes, les pertes furent lourdes de notre côté; mais ils ne seront pas tombés en vain au champ d'honneur, ces joyeux compagnons aux côtés desquels nous luttèrent côte à côte pour l'avènement au grand jour d'une conception du monde qui échappe aux critères décadents de cette civilisation en décomposition sur le fumier de laquelle poussent de nouvelles roses. La preuve.

A toi de jouer, ami lecteur. Il est temps pour toi de t'atteler à la charrue du destin pour tracer avec nous ce sillon tant attendu qui nous mènera à la fin du disque, du disque, du disque, du crrouic.

A toi aussi, il t'est certainement arrivé une fois ou l'autre de relever, dans le banal du quotidien et produite par un hasard aussi pur que mystérieux, une coïncidence, une simple anecdote, un incident fortuit dont les conséquences et la signification t'échappent encore, mais qui a marqué ta mémoire d'un signe étrange qui restera à jamais le témoignage fantastique de la présence de l'irréel solidement implanté sur cette terre de vicissitudes. Ce clin d'oeil de l'au-delà, ce geste amical d'une dimension autre, nous aimerions que tu nous en fasses part, ami lecteur, afin que, placé dans un contexte idoine et adéquat, confronté à d'autres clins d'oeil et d'autre gestes amicaux, il transcende son apparence profane et accède au symbolisme d'une compréhension nouvelle de la finalité du hasard, dans une solide poignée de main entre le stress du réel et les vapeurs de l'immuable.

Raoul de Saint-Ambroix