La chronique de Raoul de Saint-Ambroix

 

UN CASSE-PIED SUR LA CASPIENNE

 

De retour de Singapour et voulant mettre à profit ces quelques jours qui me séparaient du rendez-vous de Birkesdorf-am-Ruhr, je décidai de faire un détour par la Mer Caspienne, au fond de laquelle devaient gésir, selon mes pures spéculations basées sur des éléments de preuves qu'il m'est impossible de divulguer pour l'instant, les vestiges d'une tour quadrangulaire dont les structures et la géométrie évoquent violemment celles d'une autre, plus connue, sise dans une célèbre capitale européenne fréquentée par le Tout-Paris. Certains signes nous montrent qu'indéniablement une certaine forme de culture (dite culture en terrasse*), émanant du mystérieux peuple des Myrmidons dont les prouesses techniques étaient étonnantes pour l'époque, n'est pas pour rien dans l'érection de cette construction pyramidale. De gigantesques dalles forment une voie majestueuse qui s'éloigne de ladite tour pour se perdre au plus profond de l'abîme caspien**.

A l'origine de mes recherches sur les Myrmidons se trouve une anecdote intrigante et fortuite que, dans un élan de bonté philanthropique, je m'en vais entreprendre de vous narrer aussi sec. Mon aéroplane se trouvant en difficulté au large des Açores, l'appareil et moi-même perdions de l'altitude. Le temps était au beau mobile (comme souvent sous ces latitudes), et seul un petit nuage d'une singulière couleur verdâtre paressait mollement sur l'océan tranquille, tel une frite sur une mer d'huile. C'est à ce moment que je remarquai un petit pétrolier de plaisance, jaugeant à vue de nez 150.000 barils, à quelques jerrycans près, pénétrer résolument dans cette nappe vaporescente.

Bien plus tard, par une de mes relations travaillant dans un organisme gouvernemental, j'appris que seul l'équipage fut retrouvé, en parfait état de marche d'ailleurs, et sans aucune tache d'huile, au "Perroquet vert", célèbre tripot de Macao. Quant au navire, le traître, il avait certainement échangé ses barils contre ceux d'une autre marque.

Toute cette histoire paraîtrait anodine si l'on omettait de mentionner le fait que ce n'est pas "APRÈS" l'incident que l'équipage fut retrouvé au grand complet, mais... "TRENTE ANS AUPARAVANT"!

Eh oui, assidu lecteur, la machinerie du temps a des rouages inexplorés que le grain de sable, voire même de folie, puissant catalyseur de conséquences irrationnelles et non encore maîtrisables, parvient à déclencher, dans un remous d'énergie vierge, faisant émerger au niveau de la conscience des bribes de fiction dépassant imprudemment, dans un dualisme effréné, les fringants chevaux de la réalité.

Raoul de Saint-Ambroix

 

* cf. Baalbeck, ombragée, Ramuz, etc.
** C'est de cette route que, sans aucun doute, le prêtre haranguait la foule, en commençant par ces mots, encore utilisés de nos jours: "Ici Maurice Leprêtre qui vous parle de la route de la Tour." (Après le cataclysme qui submergea la cité, son appel se transforma et devint: "Ici l'Onde, bom bom bom
                              bom").