La chronique de Raoul de Saint-Ambroix

 

“AL” IN ... STAR

 

Traversant Genève déserte, dimanche dernier, au volant de ma capricieuse limousine, à la recherche d'un humble morceau de fromage à l'emporter que je me vis refuser dans maints restaurants — le patron étant absent et le loufiat de service (?) n'osant assumer si grave responsabilité — je repensais à ce billet que je devais à mes lecteurs, affamés de saine réflexion.

C'est néanmoins en tout espoir de cause que j'entrepris d'affronter la froidure hivernale et le papier glacé qui m'attendait depuis plusieurs semaines, tel l'iceberg en embuscade sous d'opaques latitudes dont seule la tête émerge dans la brume fantomatique, à l'affût de la proie facile qu'incarna pour la circonstance l'un de mes amis, Al, fameux explorateur, rencontré lors d'un congrès de démonologie à Casablanca et au cours duquel il me fit part — c'était en 1948 — d'une réflexion dont je ne pouvais alors soupçonner les implications métaphysiques et ultérieures. Sirotant avec flegme et nonchalance le traditionnel thé à la menthe à l'ombre d'un pin parasol — pardon, d'un parasol peint aux couleurs de la société locale de boule lyonnaise, il me déclara, tirant nerveusement sur son petit cigare mexicain: "Voyez-vous, un jour le monde se rendra compte de son erreur. Ou alors...".

C'est trente ans plus tard, à l'obscurité des derniers sondages, que cette dure mais juste sentence prend tout son sens tragique.

Eh oui virjule hardi lecteur, aujourd'hui où les recherches scientifiques les plus avancées s'enlisent à l'aide de puissants ordinateurs dans la vase de la forme au point qu'elles se heurtent au mur du fond, emberlificotant leur hélice dans les algues du rationalisme, s'efforçant en vain de saisir les secrets des dieux qu'ils croient être déjà, il est de première importance de se remémorer les sages paroles de mon ami aujourd'hui décédé.

Car à force de chercher des preuves, on finit par trouver celle de son erreur! Je m'explique: dans l'exploration de son ignorance, le scientifique poussiéreux, flanqué de son fidèle ordinateur, est condamné à suivre à jamais ses propres traces, à l'instar du voyageur dans l'immensitude du désert brûlant dont il ne sortira que grâce à l'intervention miraculeuse du Simoun qui, réduisant à néant la piste circulaire sur laquelle il s'efforçait de maintenir son évolution, l'obligera à partir à l'aveuglette et permettra à son intuition de se manifester en le conduisant vers le bled le plus proche et en lui révélant une réalité inamovible que les seules connexions programmées de son raisonnement n'auraient jamais pu saisir.

Quand il narre son aventure hors du commun et des sentiers battus, chacun de s'exclamer avec vigueur et étonnement: "Ben ça, Jeannot, quel coup de pot!"

Or la chance, cher et honoré lecteur, celle-là même qui d'ailleurs est à l'origine de tant de découvertes fondamentales et de fructifieux brevets (citons entre autres le papier buvard et la gravitation universelle), qu'est-elle donc sinon une forme incomprise de l'intuition, susceptible d'être cultivée au même titre que le navet?
Faudra-t-il que les ordinateurs se mettent, eux aussi, à avoir de la chance pour que la Science ouvre enfin cette porte dérobée donnant accès au Colimaçon de la Corne d'Abondance recelant toutes les richesses de la Connaissance?

Raoul de Saint-Ambroix